Brûler Tintin ou lire Mein Kampf -ou l’inverse ?
Brûler Tintin ou lire Mein Kampf -ou l’inverse ?
Au cours de l’été, Radio Canada a révélé l’autodafé mené par une école catholique canadienne de l’Ontario au cours duquel plusieurs milliers de livres ont été brûlés dans la grande tradition de l’Inquisition médiévale et de la propagande nazie. Il s’agissait selon les organisateurs, d’une « cérémonie de purification par la flamme» (lol ?).
Ces livres -bandes dessinées, romans, encyclopédies- véhiculaient une image jugée stéréotypée des Amérindiens. « Il s’agit d’un geste de réconciliation avec les premières nations et d'un geste d’ouverture envers les autres communautés présentes dans l’école et notre société ». L’objet de cette purification était « [d’enterrer] les cendres du racisme, de la discrimination et des stéréotypes déclare l’un des membres de l’institution dans une vidéo pour le moins lunaire, tournée à destination des élèves, dans laquelle il disperse les cendres des ouvrages dans le but de faire pousser un arbre pour « tourner du négatif en positif ». < Le Point.
Dans le collimateur, des dizaines d’autres œuvres sont en cours d’examen. Lucky Luke est visé comme Astérix et les Indiens où une jeune indienne est montrée, semble-t-il, sous un jour provocant. Idem, les adaptations de la vie de Pocahontas n’échapperont évidemment pas aux flammes.
Les commentaires des politiques canadiens ont été en général d’une pudeur discrète et inaudibles. Malgré tout, Robert Leroux ( université d’Ottawa, sociologie ) considère que « cette histoire illustre le triomphe du mouvement ”woke" au Canada » qui veut effacer notre passé et notre histoire ». < Le Monde.
Le quotidien québécois Le Devoir commente ainsi l’autodafé :« Brûler des livres, c’est réécrire l’histoire. Et le faire devant des enfants dans un but éducatif, c’est une aberration totale […] La vérité, ça passe par la resituation du passé dans ce qu’il a de plus dur. Si on efface le passé, il n’y a pas de réconciliation possible. »
Supprimer le passé permet d’éviter de s’y confronter et de l’analyser. Des esprits chagrins pourraient évoquer l’image de Trotsky effacée par Staline et bannie de toutes les représentations officielles. La pensée de celui qui n’a jamais vécu, ainsi déboulonnée, ne peut être prise en considération. CQFD.
Laissons les branchés de l’esprit woke et voyons une autre façon de faire face à la discrimination. Il ne s’agit plus ici de
Lucky Luke, de Tintin ou d’ Obélix mais d’ Adolf Hitler et de Mein Kampf.
Le 31 décembre 2015, 70 ans après la mort de Hitler, Mein Kampf est passé dans le domaine public.
L’édition française parue en 2021 est le résultat d’un travail commun avec les historiens allemands. Elle porte un sous-titre programmatique : Historiciser le mal .
« L’appareil critique français vise principalement à déconstruire et à contextualiser le texte de Hitler » qu’il entoure de près de trois mille notes au cours des 900 pages de cette somme.
L’étude, parallèle au texte, tente de répondre à des questions cruciales : comment sont nées ces thèses racistes? Quelles étaient les intentions de l’auteur lors de l’écriture du livre? De quel soutien ses affirmations bénéficiaient-elles parmi ses contemporains?
Et surtout: que peut-on opposer, en l’état actuel de nos connaissances, aux innombrables affirmations, mensonges et déclarations d’intention de Hitler? < Institut historique allemand .« Jusqu’à présent, les traducteurs essayaient de faire sens de ce pamphlet, de le restituer en bon français, de corriger les syntaxes idiotes et les fautes logiques. Là, il a été rendu dans toute sa bêtise et sa folie […] Par exemple, Hitler semblait écrire par concaténation, [par glissement de mots sur le modèle de la comptine marabout, bout de ficelle, selle de cheval, etc] par délire verbal, par enchainements d’idées sans raison.
Dans Philosophie Magazine, on apprend du traducteur Olivier Mannoni que la rhétorique de Hitler ressemble à un discours complotiste : on balance 20 faits à la suite, sans liens entre eux, invérifiables, ce qui crée un effet de sidération ». < France Culture
« Il y a une chose qui m’amuse, dit Tal Bruttmann, quand je regarde la manière dont sont construites les pages de ce livre, avec ces notes tout autour du texte d’Hitler, qui devient secondaire. Vous avez déjà vu un exemplaire du Talmud ? C’est la même construction. On entoure le texte de commentaires. Ils ont transformé Mein Kampf en Talmud. C’est une belle revanche de l’histoire. » <Le Monde
On voit là deux façons de considérer le réel honteux : l’éliminer pour que la société, ayant expulsé magiquement le mal, retrouve sa pureté – pour le plus grand bien de l’idéologie dominante qui a décrété l’autodafé.
Ou le prendre à bras le corps pour le comprendre, le faire comprendre en le débarrassant de l’aura qui a pu l’accompagner au temps de sa gloire., même si, ce faisant, on touche au crime majeur de montrer que les peuples eux-mêmes peuvent s’aveugler.
Sur les diverses manifestations de l’esprit woke, on peut lire : Adieu le féminisme, Chronique d’un suicide programmé.