Obama, le 4ème arbitre, le racisme, les médias.
Obama, le 4ème arbitre, le racisme, les médias.
Deux faits-divers et matière à réflexion.
Ce soir-là, à la 13e minute du match de Ligue des champions entre le PSG et Istanbul Basaksehir, un enraîneur du club turc, Pierre Webo, s’emporte sur le bord de la touche. Son attitude déplaît au quatrième arbitre, le Roumain Sebastian Coltescu, qui désigne à l’arbitre principal celui qu’il estime être le fauteur des troubles.
Ne connaissant pas le nom de l’ancien joueur camerounais, il le montre en disant qu’il s’agit du Noir.
Le joueur Demba Ba intervient sur ce qu’il comprend à juste titre comme une insulte : « Pourquoi il dit négro ? » Voir la vidéo avec la traduction en français sur le site de l’Obs.
Le moment est un peu confus. Peut-être que l’arbitre principal a expliqué en anglais que le mot n’est pas une insulte en soi mais désigne une couleur de peau qui a permis de distinguer celui dont on voulait parler.
Demba Ba interpelle alors l’arbitre n°4 : « En parlant d’un joueur blanc, tu dis 'ce gars' et pas 'le gars blanc'. Donc pourquoi tu dis ' le gars noir' pour parler d’un joueur noir ? »< 20minutes
Fin du match après que Demba Ba ait engagé les joueurs à quitter le terrain.
Changeons de situation, de personnages, et d’ambiance médiatique.
En novembre, Barack Obama fait paraître ses mémoires, Une terre promise. Voici le passage concernant Nicolas Sarkozy : « Avec sa peau mate, ses traits expressifs, vaguement méditerranéens (son père était hongrois, son grand-père maternel juif grec), et de petite taille (il mesurait à peu près 1,66 mètre, mais portait des talonnettes pour se grandir), on aurait dit un personnage sorti d'un tableau de Toulouse-Lautrec. » Un peu plus loin, Obama évoque « ses mains en mouvement perpétuel, sa poitrine bombée comme celle d'un coq nain » et sa « conversation [qui] passait de la flatterie à la fanfaronnade ».
Le Point du 21/11/20 précise que l’original anglais ne s’embarrasse pas de parenthèses : « Il était moitié hongrois et un quart juif grec », écrit Obama.
Référer un individu à ses origines supposées et laisser entendre une conséquence sur son comportement, ses idées… c’est bien ce qui caractérise le racisme.
La mention d’Henri de Toulouse-Lautrec demande un éclaircissement. Que suggère Obama ? Les tableaux de Toulouse-Lautrec ont souvent pour cadre des maisons closes avec avec leurs prostituées et leurs clients. Ou bien s’agit-il d’évoquer le physique du peintre (aux origines chrétienne et aristocratique) qui souffrait d’une maladie des os et mesurait 1,52m. Tout ceci manque d’élégance. Ce sont des commentaires à la Trump.
Nous y reviendrons.
En quoi ces deux événements nous interpellent-ils ?
Le premier fait suite à une très longue série d’insultes ouvertement proférées depuis de nombreuses années dans des stades divers par une foule haineuse à l’égard de joueurs noirs. Les réactions des fédérations de football, celles des pouvoirs publics restaient dérisoires.
On comprend la joie de Lilian Thuram qui célébrait dans l’Equipe « Le moment historique qu’[il] attendai[t] ».
Qu’est-ce qui est essentiel : être Noir ou être Homme ?
En roumain, « Noir » se dit « negru » qui désigne la couleur ( le mot roumain est issu du latin « niger »= « noir ». Le fleuve Niger = le fleuve noir).
Le mot se prononce entre négro et négrou. Prononciation sur le site Forvo
Les mots noir, juif , asiatique ou arabe ne sont pas des insultes. C’est dans l’esprit du raciste, de l’antisémite qu’ils se chargent de connotations négatives. Faut-il se soumettre à la volonté de l’autre et s’interdire de les utiliser ? Faudra-t-il dire Black -comme c’est souvent le cas aujourd’hui- pour éviter Noir ?
Les mémoires d’Obama n’ont pas soulevé de vagues indignées, ni aux Etats-Unis, ni en France. Et pourtant, les Américains viennent de créer une profession spécialisée pour traquer tout ce qui pourrait offusquer les minorités : «les « sensitivity readers », traduisez relecteurs de sensibilité , comprenez chasseurs de polémiques [chargés en fait d’éviter les procès] qui ont pour mission, dans les maisons d'éditions américaines, de vérifier si un personnage ou des propos n'apparaissent pas comme racistes, homophobes ou misogynes.
Clairement, Barack Obama est passé entre les gouttes, aux États-Unis comme en France ».<Le Point
L’attitude de certains médias français
France-Inter sur son site propose une version propre, revisitée, qui évite ce qui peut blesser : « Sarkozy était tout en emportements émotifs et en propos hyperboliques. Avec sa peau mate, ses traits expressifs, vaguement méditerranéens, et de petite taille (il mesurait à peu près 1,66 mètre, mais portait des talonnettes pour se grandir, on aurait dit un personnage sorti d'un tableau de Toulouse-Lautrec) »
Belle version expurgée sans que soit mentionnée les coupures opérées. On pourrait s’en étonner.
Même délicatesse dans Le Monde.
« [Obama] juge ses traits « vaguement méditerranéens » et il assassine le « torse bombé de petit coq ». < Le Monde du 23/11/20.
Joli travail de journaliste, en sept mots soigneusement choisis, pour ne pas heurter les lecteurs. On pourrait s’étonner de cette modération qui masque une réalité qui demande explication .
Mais…
… merci à François Morel qui remet les pendules à l’heure dans son billet du 11 décembre <France-Inter,
Il y a visiblement des informations qui font du bruit et d'autres qui peinent à se faire entendre.