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Eléments de conversation pour briller en société
13 mai 2019

18 (1) Brigitte Bardot, féministe et antifasciste ?

 


lolita syndrom18 Brigitte Bardot, féministe et antifa ?

 Episode 1

 

 Cet article concerne le mythe Bardot et son rapport avec le féminisme, principalement à travers l’essai fasciné de S. de Beauvoir. Ainsi que son rapport avec l’OAS en 1961

Resteront dans l’ombre, non seulement sa carrière professionnelle, mais aussi  les années qui suivent la fin de sa vie publique, son engagement auprès d’un parti d’extrême-droite, ses propos racistes ou homophobes, son soutien aux gilets jaunes.

 

 Nous nous bornerons essentiellement à tenter d’éclaircir cette question: comment cette actrice a-t-elle pu fasciner les foules mais aussi certaines intellectuelles féministes ? 

 

 

QUELQUES DATES

1934 : Brigitte Bardot naît en dans une famille aisée de l’Ouest parisien. Famille traditionaliste : le père de l’actrice a obligé Roger Vadim  à suivre des cours e catéchisme avant le mariage religieux.

1949 : Elle est engagée comme modèle par une amie de sa mère, directrice de Elle, et fait l’année suivante la couverture du magazine.

paris match février 1951

1952 : Premier rôle dans Le Trou normand de Jean Boyer avec Bourvil. Elle incarne un personnage de toute jeune fille perverse et délurée.

1956 :LE   film qui embrase la critique et le public : Et Dieu créa la femme de Roger Vadim, qu’elle a épousé en 1952.

1963 : Le Mépris de Jean-Luc Godard.

1968 : Son buste, sculpté par Aslan devient l’image de Marianne, et trône dans les 36000 communes de France. 

1973 : Brigitte Bardot, après une quarantaine de films, quitte brusquement et définitivement l’univers du cinéma qu’elle n’a jamais aimé (elle avait une formation de danseuse classique). Se consacre à la protection des animaux.

 

 

Cet article prend sa source dans deux documents. 

 

Le premier de Simone de Beauvoir, intitulé Bardot, the Lolita Syndrom, publié en anglais, en 1959  dans la revue Esquire (on en lira l’histoire plus loin). Les citations de Beauvoir que l’on verra ici sont toutes extraites de cet essai.

Le second de Catherine Rodgers  (Université de Swansea, Grande-Bretagne) dont les travaux concernent les théories du féminisme français. 

Elle met en question le regard empathique de Simone de Beauvoir sur Brigitte Bardot qu’elle oppose aux thèses féministes que la grande Simone avait défendues dans Le Deuxième Sexe

Elle est dubitative sur l’interprétation de Beauvoir, à tel point qu’elle se demande comment un esprit si lucide a pu se laisser piéger par le « naturel » de l’éternel féminin qu’incarnerait Bardot. 

 

Avant de poursuivre, un mot sur « l’éternel féminin » censé caractériser la femme. Jean Maisonneuve définit un « versant positif […] : sensibilité, grâce, intuition, expansivité, capacité d’accueil, d’aide éventuelle, adaptabilité, préférence pour l’accord plutôt que le conflit, charme, part de mystère.

[Et un second] versant de tonalité négative : propension au bavardage, à la curiosité sinon à la futilité, coquetterie, entêtement mais versatilité, perversité, imprévisibilité » (revue Connexions, n°2, 2008).     

  

Le paraître 

Martine carol , vers 1955

 Tout a déjà été dit sur son apparence physique. Rien à ajouter. Il suffit de regarder.

 Sa façon de s’habiller a été très vite remarquée. Il faut rappeler que les stars des années 50 apparaissaient dans une débauche de fourrure, robe longue, talons aiguilles, et maquillage pharaonesque. 

 Simone de Beauvoir ouvre d’ailleurs son étonnant essai, par ces deux phrases sur les vêtements de l’actrice : "On New Year’s Eve, Brigitte Bardot appeared on French television. She was got up as usual — blue jeans, sweater and shock of tousled hair.” 

(= Le soir du Réveillon, Brigitte Bardot apparut à la télévision française fagotée comme d’habitude avec un jeans, un sweat, et les cheveux en pétard. / traduction balbutiante de l’auteur de ce blog/)

 

Jean Cocteau précise l’effet social de ce goût: « La mode a beau remuer des fortunes. Il suffira que cette sorcière, que ce sphinx achète un pantalon, un chandail d’homme… pour que toutes les jeunes filles adaptent cette mise et que cette mise devienne la mode. »

Bmarinière pantalon corsaire ballerines

En effet, ses tenues  -marinière, pantalon corsaire, robe vichy, ballerines…- seront imitées et  portées par des milliers de jeunes femmes. Sans oublier une coiffure savamment dépeignée. Une mode populaire...Premier sac TATI 

Mariage en robe vichy avec Jacques Charrier

 

 

 

 

 

 

 

 

Et  Beauvoir est subjuguée : « Elle va pieds nus, elle tourne le dos aux toilettes élégantes, aux bijoux, aux parfums, au maquillage, à tous ces artifices. […] « Elle fait ce qui lui plaît et c'est cela qui est troublant»

 

brandebourg

La star en fait à sa guise : en décembre 1967, le général de Gaulle invite pour la première fois le monde du cinéma à l’Elysée. Elle s’y présente en pantalon, veste militaire d’opérette à brandebourgs, cheveux défaits ! Yvonne de Gaulle n’est pas ravie, son époux par contre aurait dit : « Chic, un militaire ! » et saluer une « simplicité de bon aloi. » C’était la première fois qu’une femme portait un pantalon dans l’enceinte du palais présidentiel.

 

Le naturel …

Henri-Jean Servat (commissaire de l’exposition de 2009) interviewe B.B. : « Avez-vous conscience d’avoir bouleversé les mœurs… ? BB : « Je suis comme je suis, je me fous du reste ».

HJS : Pourquoi avez-vous inspirer tant d’artistes, d’écrivains, de créateurs ? BB : Parce que je suis moi, et que je ne ressemble à personne d’autre. »[1]

 Ce que Cocteau exprime ainsi : « Elle vit comme tout le monde, en étant comme personne ».

 Elle explique sa réussite par le hasard : « Je suis tombée à un moment où il n'y avait pas d'actrice de mon style. On en restait aux stars et aux femmes fatales inabordables. J'étais — je le suis encore — le contraire : naturelle, pas sophistiquée, identique à l'écran et ailleurs. Et puis, j'ai le physique des filles de mon époque. Elles se reconnaissent en moi. » (<Encyclopedia Universalis)

 Michel Onfray en conclut que « Brigitte Bardot a beaucoup plus fait pour la femme que Simone de Beauvoir. » 

 

…et la Nature

 « Dans les pays latins, où les hommes restent accrochés au mythe de la 'femme objet', la 'naturalité' (naturalness) leur semble plus perverse que n'importe quelle sophistication »[2]puisque c’est jouer sans les accessoires de la séduction, d’égale à égal avec le partenaire masculin.

Bardot est un être d’instinct que guide ses pulsions. « Elle suit ses désirs. Elle mange quand elle a faim et fait l'amour avec la même simplicité désinvolte. »

 

Bref, Brigitte Bardot est naturelle. Pourquoi pas ? Mais la formulation est trouble : le discours traditionnel patriarcal, machiste a toujours considéré la femme comme un être de Nature, impulsif, déraisonnable, évidemment opposée au masculin, réfléchi et rationnel qui relève de la Culture. 

 Et Beauvoir insiste sur Bardot-Nature : “Garbo was called The Divine’; Bardot, on the other hand, is of the

simonedebeauvoir_1946 par H. Cartier-Bresson

earth earthy.” […] “Vadim presents her as a phenomenon of nature. She doesn’t act,’ he said. ‘She exists.” (= On appelait Garbo La Divine, Bardot est plutôt un être de chair que Vadim présentait comme un produit de la nature. Elle ne joue pas, elle existe. / trado. perso/)

 

La femme-enfant comme porte du désir

Non seulement Bardot se lie à l’homme comme la Nature à la Culture mais c’est, en plus une femme-enfant qui relève d’un autre univers, celui de la jeunesse qui permet tous les espoirs et des perversités que dissimule l’innocence supposée.

Ni enfant, ni adulte, la jeune fille est proche de l’animalité. Beauvoir brosse le portrait d’une femme-enfant qui instaure une distance entre l’homme et la femme et rétablit un espace pour que le désir puisse pleinement se manifester.

La relation homme-femme telle qu’elle se développe dans ces années 1960 permettrait dans l’acte un assouvissement trop rapide du désir qui ne pourrait s’épanouir avec tout son jeu de séduction. 

La nymphette aurait l’art d’empêcher la précipitation et de faire languir son séducteur… au moins le temps d’un mambo ( Voir Et Dieu créa la femme) ! Sur scandale de Loilita du roman de Nabokov publié en 1955 en français

 

Morale

 Puisque Brigitte Bardot relève de la Nature, la morale – ensemble des valeurs qui unissent les membres d’une société- ne peut la concerner: « BB is neither perverse nor rebellious nor immoral, and that is why morality does not have a chance with her. Good and evil are part of conventions to which she would not even think of bowing.”  (= BB n’est ni perverse, ni rebelle, ni immorale et c’est pourquoi la morale n’a pas prise sur elle. Le Bien et le Mal sont des conventions sans valeur. /trado perso/) 

 Et le monde féminin de renchérir : Marguerite Duras: « la reine Bardot se tient juste là où finirait la morale et à partir de quoi la jungle serait ouverte de l’amoralité amoureuse ». Françoise Sagan: « Comme tout animal doué de raison, elle n’a rien à voir avec la civilisation chrétienne et avec ses tabous ». « C’est Eve avant le péché originel » dit Michelle Perrot. 

 D’ailleurs, comme le signale Simone de Beauvoir, on l’accuse de tous les maux : « Quand trois propres à rien de familles respectables assassinèrent un vieillard dans un train, à Angers,  l'Association des professeurs et parents d'élèves dénonça BB devant Monsieur Chatenay, le député maire de la ville. C'était elle, disaient-ils, la responsable du crime. "Et Dieu créa la femme" avait été projeté à Angers et les jeunes gens avaient été immédiatement pervertis. » (traduction < C. Rodgers)

 Dans ces conditions, le journal La Croixne peut que reprendre la décision de la Centrale catholique du cinéma qui « a demandé qu’on s’abstienne, par discipline chrétienne, de voir ce film [Et Dieu créa la Femme] ... Nous nous joignons aux autorités catholiques pour appuyer leur proscription ».

 Vadim souligne en quoi consiste l’aspect scandaleux de Brigitte : elle fait « au grand jour et librement ce que les autres font en se cachant. » Ce qui choque dit un critiqu, c’est qu’elle est nue dans toutes les situations et dans tous les lieux. 

On peut penser à deux tableaux de Manet peints en 1863 : le  Déjeuner sur l’herbe qui scandalisa le public pour les raisons semblables : deux hommes habillés pique-niquent avec deux femmes dénudées. Ou encore à Olympia où la femme,  allongée nue -à l’imitation du Titien- regarde le spectateur-voyeur droit dans les yeux, comme poir une invitation impudique. 

 Amorale par nature, Bardot incarne des personnages qui finissent par subir l’ordre social. Dans Le Deuxième sexe, Beauvoir souligne d’ailleurs que la femme même rebelle finit toujours par se rendre aux raisons que l’homme lui propos ou impose.

 Elle est donc au-delà du bien et du mal, un être autre, animal, naturel, instinctif… On rejoint ici les caractéristiques traditionnelles de la femme telles qu’elles ont été élaborées par les hommes au cours des siècles !

D’autant plus que, comme le dit Roland Barthes, le naturel est le moyen que choisit le mythe pour apparaître éternel et évident ! 



[1]Notons en passant que Rousseau ouvrait ses Confessionspar une idée semblable : « Je ne suis fait comme aucun de ceux que j'ai vus ; j'ose croire n'être fait comme aucun de ceux qui existent. Si je ne vaux pas mieux, au moins je suis autre. »

 

 

                                              A suivre :

expressEpisode 2: Le féminisme

                   La fascination

                  Histoire de The Lolita Syndrom

                  Brigitte Bardot et l'OAS

 

 

 

 

[2]Traduction proposée sur la page de TV5 Monde :  https://information.tv5monde.com/terriennes/brigitte-bardot-par-simone-de-beauvoir-3371

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