Militer/ enseigner. Délires universitaires (une suite)

« Peut-on mener des recherches militantes dans les universités ? »Telle est la question que se pose Irène Pereira, Professeur de philosophie, chercheuse en philosophie et sociologie, Université Paris-Est Créteil Val de Marne, dans la revue « The Conversation ».

Identité, d’abord

Pour y répondre, elle introduit des « distinctions conceptuelles » empruntées au sociologue Boaventura de Sousa Santos (Université de Coimbra), qu’elle présente ainsi : « De Sousa Santos est connu pour son engagement militant dans les mouvements sociaux. Il est également un sociologue du droit de renommée internationale ». L’ordre des éléments n’est pas indifférent : le spécialiste est d’abord un militant puis un sociologue.

On rappellera que dans notre article précédent sur les Délires universitaires, une journaliste introduite dans un cours de « cultural studies » avait constaté que les étudiants qui se présentaient à la demande de leur enseignant faisaient d’abord état de leur vécu avant de dire un mot du cursus qu’ils avaient suivi. Même forme de pensée ici.

La neutralité : impossible

Revenons à la « distinction conceptuelle » établie par De Souza entre neutralité et objectivité. La première est impossible : il récuse « la capacité du scientifique à pouvoir être neutre. En effet, une telle prétention relèverait d’une illusion sur soi qui laisserait supposer qu’il est possible au scientifique de s’abstraire par exemple de sa position sociale ».

Cette impossibilité à être neutre, doublée de la naïveté de croire qu’on peut accéder à cette neutralité appartient à une grande famille « conceptuelle » qui se décline dans la propagande racialiste.

On peut l’illustrer par le discours d’Adèle Haenel qui se flagelle, au cours d’un entretien vidéo, parce qu’elle est persuadée d’être toujours déjà coupable de racisme.

Si, en tant que femme blanche, je ne fais pas un travail de déconstruction sur comment j'ai été construite, je me fais moi-même le véhicule du racisme parce que j’ai été constituée dans cette société. » < (vidéo de 30’45 à 31’52). Voir l’article Rééducation, délation…

Aucune neutralité n’est possible. On ne peut pas « s’abstraire par exemple de sa position sociale », comme le dit Irène Pereira, « Plus un scientifique se pense neutre, […] plus il risque au contraire d’être inconscient de son manque de neutralité », sans « travail sur soi-même », sans « déconstruction » dans la novlangue d’aujourd’hui. Même forme de pensée, ici encore qui mêle la conceptualisation sociologique et le langage militant.

L’objectivité ?

La sociologue définit bien son rôle : « L’objectivité résulte de l’application rigoureuse et honnête des méthodes d’investigation qui nous permettent de faire des analyses qui ne réduisent pas à la reproduction anticipée des préférences idéologiques de qui les mène ».

Donc l’objectivité est de se rendre compte de l’illusion de la neutralité. On tourne en rond dans l’obsession.

Au cas où ce ne serait pas assez clair, la démonstration est répétée : « L’objectivité résulte également de l’application systématique de méthodes qui permettent d’identifier des présupposés, des prénotions, les valeurs et les intérêts qui sous-tendent la recherche scientifique, qui en est soi-disant dépourvue».

Et c’est tout. Le reste est visiblement sans intérêt : méthodes, corpus étudié, analyses statistiques…

L’identité, encore

Puis IP quitte le firmament des concepts pour se frotter aux vraies gens. Elle se penche sur un cas d’intersectionnalité « souvent mise en accusation ». Et elle évoque « une femme handicapée, militante d’une association de lutte contre les discriminations des personnes handicapées » qui ferait une étude sur les violences dont sont victimes les femmes handicapées. A la suite de quoi, elle pose la question qui tue : cette femme « serait illégitime dans ses recherches et ses objectifs ? » Question rhétorique qui clôt son article.

En d’autres termes, le problème ( s’il y a problème) se réduit à ceci : pour les militants de l’intersectionnalité, il suffit qu’il y ait concordance entre l’identité (comprenons : sexe, « race », orientation sexuelle, etc. ) de l’auteur et le sujet de son étude pour que celle-ci reçoive l’agrément universitaire

Le poids identitaire règle tout et donne légitimité à n’importe quel étude, thèse, article.

Identité, toujours

A propos d’article, je ne résiste pas au plaisir du détail. La plupart des articles de la revue ( intéressante, par ailleurs) en ligne « The Conversation » comporte une « déclaration d’intérêts » destinée à affirmer que l’auteur de l’article n’a pas d’intérêts financiers qui l’inciterait à prendre position dans un sens ou un autre. La formule est presque toujours la même :

Déclaration d’intérêts

Michel XXX ne travaille pas, ne conseille pas, ne possède pas de parts, ne reçoit pas de fonds d'une organisation qui pourrait tirer profit de cet article, et n'a déclaré aucune autre affiliation que son organisme de recherche.

Parfois, une variante :

Déclaration d’intérêts. Anne XXXX a reçu des financements de l'agence nationale de la recherche (ANR) pour son projet "Vieillir à deux" .

Mais la formule est dédaignée par l’auteure de cet article : Déclaration d’intérêts. Irène Pereira est membre du syndicat Sud Education, de la Fondation Copernic, et de l'association Attac .

Identité qui légitime ce qui a été écrit.

CQFD

Militer/ enseigner. Délires universitaire (une suite)

Partager cet article