EPISODE 3

Enfin, MOI ! Tout seul !

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Jean-Jacques Rousseau ouvre ses Confessions (1764) par ce paragraphe : « Je forme une entreprise qui n'eut jamais d'exemple et dont l'exécution n'aura point d'imitateur.

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Je veux montrer à mes semblables un homme dans toute la vérité de la nature ; et cet homme, ce sera moi.Moi seul. Je sens mon cœur, et je connais les hommes. Je ne suis fait comme aucun de ceux que j'ai vus ; j'ose croire n'être fait comme aucun de ceux qui existent. »

Rousseau affirmait sa différence mais ne prétendait pas être meilleur. Le personnage

romantique suivra ce nouveau rapport de soi aux autres en cultivant sa différence et son dégoût de la société.

Des héros de chair et d’os existent et incarnent l’arrachement de l’individu à son passé, à sa condition, à sa famille. Tout semble possible pour un homme déterminé.

Deux exemples :

Lazare Hoche, fils d’un palefrenier, engagé en 1789 dans la garde nationale est général quatre ans plus tard, à vingt-cinq ans. Il meurt à vingt-neuf ans.

François Marceau, naît en 1769, il est d’abord abandonné par ses parents qui le reprennent. Il s’enfuit de Chartres, sa ville natale et s’engage. Le 14 juillet, il participe à la prise de la Bastille. Souvent nommé aux avant-postes, il étonne par sa bravoure. Général de division en 1793, à vingt-quatre ans. Il mourra l’année suivante.

… mais il faut partager…

Mais enfin, il faut bien parfois considérer les autres comme des égaux, d’autant plus que l’individu lambda va apparaître comme un acteur politique.

La Constitution américaine (juillet 1776) affirme son droit « inaliénable », à la recherche du bonheur, (« pursuit of happiness »). La Constitution française de 1793 affirme également : « Article 1. - Le but de la société est le bonheur commun. Le gouvernement est institué pour garantir à l'homme la jouissance de ses droits naturels et imprescriptibles. Article 2. - Ces droits sont l'égalité, la liberté, la sûreté, la propriété. »

Affirmations louables qui ne disaient rien du rapport entre le bonheur commun et le bonheur individuel. Question d’importance puisque dans le premier cas, dans une vision holiste et totalitaire de la société, l’état de bonheur peut être décrété par le gouvernement – gare à celui qui ne s’en satisfait pas ; et dans l’autre, vision individualiste, le bonheur est conquis par chaque citoyen sans se soucier du sort de son voisin -l’égoïsme pointe le bout de son nez, ou plus.

On rappellera ce mot de Voltaire en 1726, adressé au chevalier de Rohan-Chabot qui se moquait du nom

qu’il avait pris pour remplacer le sien -Arouet-, trop semblable à l’expression « à rouer » : « Mon nom, je le commence et vous finissez le vôtre ! ». A la suite de quoi, il avait bien été roué de coups par les valets du chevalier, embastillé et obligé de s’exiler.

Et parfois, il n’y a plus rien à partager !

Mais la Révolution et l’Empire achevés, l’individu jeune se retrouve sans avenir, rattaché de force à son origine sociale : la rêverie vague succède aux désirs de gloire.

Musset, dans la Confession d’un enfant du siècle, 1836, évoque le désarroi d’une jeunesse nourri des exploits guerriers de leurs pères : « Ils avaient rêvé des neiges de Moscou et du soleil des Pyramides » [il ne s’agit pas de faire du ski ni d’aller à la plage !].

C’est qu’en effet, les « vieux » sont revenus avec la chute de l’Empire : les aristocrates chassés par la Révolution entendent récupérer leurs biens et les fonctions qu’ils occupaient, en particulier dans l’armée dont les officiers étaient de sang noble.

Le jeune homme qui a vingt ans en 1815, après Waterloo, voit son avenir bloqué. Il y a là une source de ce qu’on a appelé le « vague des passions, le « mal du siècle ». Musset poursuit : « Il se forma comme deux camps : d’une part les esprits exaltés, souffrants qui ont besoin de l’infini, plièrent la tête en pleurant, ils s’enveloppèrent de rêves maladifs […] D’autre part, les hommes de chair restèrent debout, inflexibles, [sans autre souci] que de compter l’argent qu’ils avaient ».

L'usage des femmes...

Ainsi fleurit ce qu'on a appelé le "roman de formation"

Julien Sorel (Stendhal, Le Rouge et le Noir, 1830), Eugène de Rastignac (Balzac, Le Père Goriot, 1835), Georges Duroy (Maupassant,Bel-Ami, 1885) tenteront de gravir les échelons d’une société cruelle pour les faibles, douce avec les puissants mais qui laissent une place aux plébéiens aux dents longues.

Le premier, trop amoureux, était impétueux, et finira décapité.

Mais les deux autres mènent de belles carriètres.Eugène sera ministre. Quant à Duroy, Maupassant a élégamment désigné son mode opératoire en terminant le roman par ce dernier mot -alors qu’il sort de l’église, la candide et riche héritière Suzanne Walter à son bras- : « Sa pensée maintenant revenait en arrière, et devant ses yeux éblouis par l’éclatant soleil flottait l’image de M^me de Marelle rajustant en face de la glace les petits cheveux frisés de ses tempes, toujours défaits au sortir du lit. »

Leur point commun : l’usage -plus ou moins habile et élégant des femmes.

Voici les conseils que la vicomtesse de Beauséant donne à Rastignac : « Eh bien ! monsieur de Rastignac, traitez ce monde comme il mérite de l'être. […] Frappez sans pitié, vous serez craint. N'acceptez les hommes et les femmes que comme les chevaux de poste que vous laisserez crever à chaque relais, vous arriverez ainsi au faîte de vos désirs. Voyez-vous, vous ne serez rien ici si vous n'avez pas une femme qui s'intéresse à vous. Il vous la faut jeune, riche, élégante.Mais si vous avez un sentiment vrai, cachez-le comme un trésor ; ne le laissez jamais soupçonner, vous seriez perdu. Vous ne seriez plus le bourreau, vous deviendriez la victime.

[…] La belle madame de Nucingen sera pour vous une enseigne. Soyez l'homme qu'elle distingue, les femmes raffoleront de vous. Ses rivales, ses amies, ses meilleures amies voudront vous enlever à elle. Il y a des femmes qui aiment l'homme déjà choisi par une autre, comme il y a de pauvres bourgeoises qui, en prenant nos chapeaux, espèrent avoir nos manières. Vous aurez des succès. A Paris, le succès est tout, c'est la clef du pouvoir. Si les femmes vous trouvent de l'esprit, du talent, les hommes le croiront, si vous ne les détrompez pas. Vous pourrez alors tout vouloir, vous aurez le pied partout. Vous saurez alors ce qu'est le monde, une réunion de dupes et de fripons.»

Je suis ému, donc je suis !

L’homme romantique est exalté, centré sur lui-même (la période abonde en journaux intimes, romans autobiographiques, poésie intimiste). La passion aveugle, entraîne celui qu’elle possède vers un destin tumultueux mais digne d’être vécu : « Rien de grand ne s’est accompli dans le monde sans passion » écrit Mme de Staël.

Il se sent incompris dans une société qui ne lui offre pas les moyens d’exprimer son originalité, et qu’il méprise sous la forme haïe du bourgeois qui limite ses ambitions à la vie matérielle. L’idéal et l'infini sont à sa mesure : « Que m’importe ce qui peut finir ! » disait Sénancour, Oberman, 1804.

Et on n'en finit pas de s'apitoyer sur soi-même, Jean Tulard note cette remarque de celui qui était encore un inconnu de 17 ans, lorsqu'il songeait au suicide: "Toujours seul au milieu des hommes, je rentre pour rêver avec moi-même et me livrer à toute la vivacité de ma mélancolie. De quel côté est-elle tournée aujourd'hui ? Du côté de la mort."

L'auteur de ces lignes sera lieutenant d'artillerie à 19 ans, général à 25 ans, et empereur, dix ans plus tard.

Il importe de noter qu’avec le romantisme, l’individu cherche la vérité en lui-même. Le subjectif est bien plus important que la réalité objective: l’introspection est gage d’authenticité et départage le Bien du Mal. L’individu suit ses émotions qui le guident dans ses décisions plus sûrement que la réflexion.

Deux siècles de pensée rationnelle viennent buter sur l’iceberg du ressenti. Descartes s’efface : on ne doute pas de soi-même, que l’on connaît immédiatement par l’émotion éprouvée, seul critère du vrai et de l’authentique.

A SUIVRE: EPISODE 4: La tête dans le sac

Le Progrès, le Prolétaire, le Bourgeois

MOI, comme les autres !

Le sang, l'inconscient, le singe

L'Individu Episode 3

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