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Eléments de conversation pour briller en société
7 avril 2020

S2/ Episode 5 « Ça alors !Madame a un orgasme avec Monsieur ! »

Remy GOGGHE Madame reçoit

S2/ Episode 5      « Ça alors !Madame a un orgasme avec Monsieur ! »

 

 

Une évolution lente des relations conjugales

Mais que se passe-t-il donc entre les siècles précédents où un mari amoureux de sa femme paraissait ridicule, où celle-ci avait la rude tâche d’être un ventre fécondable, un objet de distraction et un instrument  de promotion sociale et le XXème siècle, où le mariage est considéré comme « le plus beau jour de la VIIIEEEE » puisqu’il joint deux êtres unis par le plus tendre des sentiments ?

Ou encore, comment en est-on arrivé à oublier le mariage d’intérêt pour célébrer le mariage d’amour ? A tel point que l’expression même de « mariage d’amour » n’est plus utilisée tant il est évident que le sentiment fonde l’union elle-même.

Ajoutons un bémol : si le contrat de mariage n’est pas la pierre de touche de la construction, néanmoins les mariages sont socialement homogènes : sous la couette conjugale, les classes sociales ne se mélangent pas. Et quand c’est le cas, c’est (presque) toujours l’épousée qui se marie au-dessus de sa condition comme dans les comédies américaines des années 60.  

 

Le Dictionnaire de l’Académie française attendra son édition de 1798 pour faire apparaître l’article « mariage d’inclination », expression qui jusque là avait été jugée sans intérêt. On entend par « inclination » un mouvement spontané qui porte à éprouver de l’affection pour quelqu’un.

L’édition de 1835 ajoute « mariage d’intérêt, mariage de convenances » comme pour mettre en valeur l’article de 1798. Et enfin, le supplément de 1876 précise que ces dernières expressions s’emploient par opposition à « mariage d’inclination » qui devient ainsi la référence.  (< Jean-Louis Flandrin Amour et mariage, revue XVIIIème s., 1980 ; p 163-176)

Précisons le problème. Il s’agit de faire la clarté sur ces deux versants des relations intimes : le sexuel et le sentimental. 

Le premier, on l’a vu, était compartimenté. Le plaisir était le domaine de la maîtresse ; la reproduction, celui de l’épouse. 

Quant au sentiment, Carmen dit clairement dans l’opéra de Bizet : « L’amour est un oiseau rebelle que nul ne peut apprivoiser ». Cependant, l’institution entend faire durer un sentiment qui s’effrite au fil du temps. Autant dire que dès sa naissance, l’oiseau rebelle est destiné à s’envoler. 

On verra dans une saison 3 ce que devient le mariage d’amour et s’il n’a pas échoué, comme se le demande Pascal Bruckner (éd. Grasset, 2010).

 

 

La ville change  et les femmes travaillent

la maison dorée, BD des Italiens 75009

 

L’évolution est bien lente. La jeune oie blanche de 1815 n’est pas devenue une femme libre de son corps et vouée à tous les plaisirs, son arrière-petite-fille, peut-être.

Les boulevards percés par le baron Haussmann, les réverbères qui éclairent de larges terrasses où se déploie un tourbillon d’hommes et de femmes dont les regards se croisent, les corps se frôlent, se cherchent et se trouvent contribuent à un rapprochement des sexes au grand jour. Le travail des femmes (ouvrières, vendeuses) les met au contact du désir masculin. Des couples se forment, bien souvent éphémères (voir l’épisode 4) mettront le goût du plaisir dans les relations conjugales. 

 

Par le travail qualifié, les femmes trouvent un début d’émancipation.

Le salaire est médiocre : l’employeur considère qu’il s’agit d’un appoint au ménage même si la salariée ne vit pas en couple. Malgré tout, dans les classes populaires un emploi peut remplacer une dot inexistante. 

institutrice et sa classe

La profession donne responsabilité et respectabilité… qui font peur aux hommes. Ces intellectuelles que sont les institutrices restent souvent célibataires. 

Il faudra des années avant que des couples se forment, qui réunissent souvent des fonctionnaires enseignants. Peu à peu, contrairement au début du siècle, les femmes vont tirer gloire non plus de la bonne gestion de leur ménage ni de l’éducation des enfants mais de leur travail à l’extérieur du foyer. Travail qui a bien dû quelque part chagriner le conjoint : les historiens ont noté que l’épouse -parfois un cadre de l’Instruction publique n’avait pas de bureau, ni pièce, ni même table pour travailler à la maison.

 

 

Rapprochement : le couple partage des secrets qui déplaisent à l’Eglise et à l’Etat

 

Mari et femme partageaient une intimité qui, dans des cas nombreux, donnait du tracas à l’Eglise et même aux institutions laïques. 

La France est en effet le pays européen qui pratique, dans toutes les classes de la société, et depuis longtemps, une

methodes-contraceptives

contraception de masse. La méthode la plus simple est l’abstinence, pratiquée sans problème dans l’aristocratie, le mari ayant les moyens de mener une double vie.

Dans les classes moins fortunées, reste le retrait (le coïtus interruptus) assimilé au péché d’Onan évoqué dans la Bible. 

 Si le couple s’entend, le nombre d’enfants reste gérable, dans le cas contraire, le voisinage qui voit les enfants arriver chaque année est au courant et peut exercer une pression sur le distributeur de sperme. 

L’usage de spermicide est bien connu des prostituées, qui imbibent un tampon vaginal censé supprimer l’action fécondante du sperme. Les clients retiennent la leçon et la pratique se diffuse largement dans l’intimité conjugale. Même si les ouvriers répugnent au « coït à sec » et ont peine à ne pas exhiber leur virilité par une palanquée d’enfants. 

Les préservatifs ont une longue histoire bien racontée dans un article Wikipedia

 

Si la fécondation commence, elle peut depuis des temps immémoriaux être interrompue par un avortement -illégal- mené dans des conditions pénibles où la femme risque sa vie (voir l’exemple de Marion Delorme). 

L’infanticide est pratiqué et généralement accepté par les voisins qui ont connu ou connaîtront des situations semblables. Le tribunal d’Evreux, dans les années 1890, est bien secoué par le soutien qu’apporte la population à la cause d’un rebouteux qui rendait bien des services aux couples qui n’avaient pas les moyens d’agrandir leur famille et qui n’acceptent pas que la justice se mêle de leur intimité. 

Dans 80% des cas, le tribunal ignore le cas des femmes mariées et le couperet atteint les servantes, les filles de ferme victimes d’un viol. Ces femmes étaient déportées en Guyane ou en Nouvelle-Calédonie où les bagnards les attendaient pour fonder un foyer…

Dans la deuxième moitié du XIXème siècle, l’État, s’appuyant sur la nouvelle science démographique, s’inquiète du nombre des naissances qui décroît régulièrement. En effet, les mariages sont tardifs ( 26-28 ans ) pour les pauvres qui en ont quand même les moyens, l’âge de naissance du dernier enfant baisse – ce qui indique une pratique contraceptive.

C’est qu’il faut une population nombreuse pour que la Nation soit forte et que le pays récupère l’Alsace et la Lorraine, perdues en 1870. 

Parmi ces « funestes secrets », il y en a un que l’Eglise traque particulièrement à partir des années 1850.

L’onanisme conjugal est un « ignoble service » que se rendent les époux puisque le plaisir est bien là. Il peut même être partagé mais la fécondation est évitée puisque la masturbation réciproque remplace la pénétration. Abominable crime qui donne de la joie aux uns et de la colère aux autres qui mettent dans le même sac diabolique la copulation avec la femme stérile ou ménopausée.

 

 Ménage à trois puis sexualité en one-to-one à la maison

 Il est entendu, répétons-le, que l’homme a des besoins sexuels naturels qui le poussent à se satisfaire ici ou là, tandis que la femme doit rester réservée dans son comportement sous peine de passer pour une « noceuse », une hystérique, une fille perdue. Par ailleurs, l’honnête homme ne peut épouser qu’une honnête femme par un bon mariage qui unira deux familles pour leur(s) bien(s) commun(s).

Jules Garnier, Le constat d'adultère

L’adultère, largement répandu dans toutes les classes sociales est une bonne gestion de la sexualité masculine. La maîtresse en titre évite au mâle la promiscuité et les maladies qui grouillent dans les bordels et que l’on redoute de plus en plus. 

Le pauvre est à peu près tranquille. Il ne craint pas le qu’en dira-t-on de la part de voisins qui vivent comme lui et la femme délaissée, épouse ou maîtresse, ne se risque pas à protester, de crainte d’être violemment jetée à la rue et obligée pour vivre de se livrer à la prostitution. Le concubinage à trois sous le même toit sont ainsi fréquents.

Le bourgeois et l’aristocrate sont plus craintifs et craignent le scandale, voire un de ces procès, intentés par une femme abandonnée, qui égaient la chronique des journaux et qui révéleraient leur intimité à des gens qui vivent comme eux mais qui les condamneraient et ne pourraient plus les recevoir. 

 

Tout-puissant, mais responsable le mari est le garant de la moralité de son épouse. Un chroniqueur judiciaire qui rapporte un procès pour séparation de corps écrit que le mari s’est rendu coupable « d’avoir un peu trop trop vécu avec sa femme comme avec une maîtresse » ( Anne Martin-Fugier, La Bourgeoise, p86). On lui reproche d’avoir participé à des « parties fines » en compagnie de sa femme. L’épouse s’est légitimement sentie souillée et considérée comme une fille, a plaidé son avocat. 

De plus, si la femme ainsi « souillée » a pris l’habitude du plaisir dans le lit conjugal, elle n’hésitera plus à le chercher ailleurs, sans avoir peur d’une grossesse puisque son mari l’aura initiée à la « fraude conjugale ». 

 La double vie fonctionne bien mais coûte cher à entretenir. 

les-amoureux-du-19e-siecle-dans-une-salle-de-dessin-dng6y8

Le petit bourgeois qui ne peut installer sa maîtresse dans ses meubles et l’entretenir ne peut pas davantage fréquenter trop souvent la maison de rendez-vous (voir l’épisode 3) qui reste un loisir onéreux. Il est bien obligé de reconsidérer le poste budgétaire de sa sexualité. « La bonne gestion de la sexualité conjugale, écrit Florence Vatin, va nécessairement faire partie de la gestion du ménage […] Se dessine donc un mouvement vers le couple amoureux, la maîtresse se confondant lentement avec l’épouse et mère. Ce mouvement s’amorce dès la fin du XIXe siècle […]  La sexualité conjugale change de nature : elle devient synonyme de recherche du plaisir sexuel. Mais dans cette perspective un autre devoir apparaît : celui d’« apprendre à faire l’amour » à son épouse.

L’adultère, gestion sociale de la sexualité était liée à la stratégie économique d’une lignée, au souci de préserver la pureté de la génétique familiale, à la répartition des « tâches » féminines. Le mot, de moins en moins employé laisse désormais la place à l’infidélité qui ne concerne plus la morale religieuse, ni la démographie, mais le délitement du désir commun. La sexualité est devenue une affaire privée que le XXème siècle consacrera par l’évidence du mariage amoureux.

 

 Au bonheur des dames : 

 Premier temps : ovulation et orgasme 

 Dans la fécondation, la femme depuis l’Antiquité a été considérée comme un simple pochon à sperme, chargé de tenir au chaud et en bonne santé la « vie à l’état liquide » selon l’expression d’un médecin du XIXème s.  On était par ailleurs persuadé que c’était grâce à l’orgasme que la femme participait, avec son conjoint, à la création d’un embryon. C’est pourquoi certaines, au meilleur moment s’efforçaient de ne rien ressentir pour ne pas tomber enceintes. Nombreuses d’ailleurs, disent les médecins qui recueillaient ces confidences, étaient celles qui se retrouvaient grosses sans avoir, affirmaient-elles, jamais eu de plaisir. 

Or, voilà que l’ovule est découvert dans les années 1830 et que son activité, liée à l’ovulation (déjà observée au siècle précédent et considérée comme une espèce de liqueur) est peu à peu regardée comme primordiale dans le processus de fécondation. 

La femme participe donc pleinement à la création d’un être vivant. 

En conclusion, elle gagne en gloire ce qu’elle perd en plaisir éventuel. En effet, l’orgasme n’est plus nécessaire à la fécondation puisque l’ovulation est un phénomène physiologique naturel qui se produits -on l’apprendra plus tard-   avec une certaine régularité. Monsieur n’a pas à s’occuper de ce que ressent Madame. Ce qui ne changera pas vraiment la réalité vécue. 

D’autant plus que le savoir scientifique ne donne aucun précepte et va être en déphasage complet avec une nouvelle situation sociale et psychologique. 

 

Deuxième temps : l’amour dans le lit conjugal 

 Célébrons brièvement deux précurseurs.

 Nicolas Venette, médecin de La Rochelle qui publie en 1685 un ouvrage Tableau de l’amour conjugal, qui

N

sera traduit dans toutes les langues européennes et réédité jusqu’à la fin du XIXème siècle.  

Il décrit avec précision les parties génitales qui ne sont pas des « parties honteuses » mais le lieu « d’une amoureuse complaisance entre les personnes mariées. » Il guide le mari dans les zones érogènes du corps féminin, donne des conseils fondés sur le souci du plaisir commun sans oublier des informations bien utiles pour se rendre désirables ou masquer une virginité perdue.   

 Un mot encore pour rappeler que Balzac n’est pas seulement un grand écrivain. Dès 1829, en pleine période romantique où l’extrême pudeur  fait des jeunes filles des oies blanches ignorantes,  Balzac donne ce conseil aux futurs maris : « Ne commencez jamais le mariage par un viol ». Et il ajoute dans sa Physiologie du mariage  qui a fait scandale : « Le mari ne doit jamais se permettre un plaisir qu’il n’ait eu le talent de faire désirer par sa femme ». 

 

Les médecins écrivent depuis longtemps avec plus ou moins de connaissances et de talent sur la sexualité conjugale. Au XIXème siècle, ils ne répugnent pas à évoquer le plaisir masculin qui dure le temps d’un spasme et laisse le mari épuisé. En 1878, le Dr Dartigues, célèbre en son temps, recommande les longs préliminaires, les caresses qui sont le prélude de l’orgasme féminin, lequel est le garant de la fidélité de l’épouse. C’est la finalité de toutes ces gentillesses.

En 1885, un ton nouveau apparaît sous la plume du Dr Montalban qui abandonne le côté utilitaire des câlins pour recentrer l’attention sur une action « lente, intime, des étreintes douces ». 

En 1866 paraît un ouvrage au titre de sitcom: Monsieur, Madame et Bébé. Ne nous

G. Droz, 116 ème édition, 1882

fions pas au titre. Ce fut une bombe rééditée cent vingt fois en vingt ans. 

On y lisait ceci : « Arrachez aux drôlesses le cœur de vos maris […] Faites pour celui que vous aimez ce qu’elles font pour tout le monde ». En 1913, la comtesse de Tramar écrit franchement qu’une femme peut et doit être la maîtresse de son mari ». En quelques mots, et un demi-siècle quand même, l’épouse est (re)devenue femme. 

Au grand désespoir des grandes dames telles la princesse Mathilde, nièce de Napoléon Ier,  évoquée en 1865 dans le Journal  des Goncourt, qui se mit en fureur parce qu’elle se voyait condamnée à faire l’amour de la même façon que n’importe quelle femme de basse condition.

 

Des détails parlants

 La chambre, lieu sacré de la conception de l’héritier où règnent pénombre, crucifix et prie-Dieu, et que l’on cache soigneusement aux regards s’ouvre libéralement. Les lits ne sont plus séparés, comme on le conseillait au début du siècle et Louis-Philippe montre à ses visiteurs le lit qu’il partage avec la reine. Dans la bourgeoisie, le tutoiement progresse; entre époux ; on se dit des mots doux.

Malgré tout, le voyage de noces, institué pour éviter à l’épouse la gêne des regards du lendemain de la nuit de noces, subsiste, soutenu par la vogue des premiers chemins de fer qui mènent aux plages de Normandie.

 

La lingerie est un bon indicateur de l’évolution des mœurs. Les tissus blancs étaient le signe même de la décence et de l’épouse honnête. Les broderies, les frou-frous, la soie, les couleurs font d’une femme une débauchée dit la baronne Staffe. Et pourtant à partir des années 188O, ils vont coller à la peau des honnêtes femmes. L’une d’elles dira plus tard s’être précipitée sur ces dessous de couleurs car « les maris étaient contents d’avoir à la maison des femmes attrayantes ».

 

Au-Bal-photo Stereo-Charles-Gaudin vers 1860

 

Sources principales

      Collectif, Histoire de la vie privée, tome 4, Seuil, 1999

      Collectif, Amour et sexualité en Occident, Seuil, 1991

Michelle Perrot   La plus belle histoire des femmes, Seuil, 2011 

  1. Corbin, La petite Bible des jeunes époux in Amour et sexualité en Occident

Anne Martin-Fugier, La Bourgeoise,  Grasset, 1983

 Florence VatinLe passage de l'adultère à l'infidélité in  Sociétés 2002/1 (no 75), pages 91 à 98

 

A SUIVRE.   EPISODE 6  La rencontre:  un bisou et plus si affinités...

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