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Eléments de conversation pour briller en société
1 juin 2023

Episode 4. Une vie conjugale sexuellement bien réglementée

Episode 4. Une vie conjugale sexuellement bien réglementée

 

La nuit de noces

nuit-de-noces

Commençons par l’essentiel. Monsieur, souvent bien plus âgé que Madame a une longue expérience du corps féminin. 

Le soir des noces, la jeune épouse attend, dans l’anxiété, le moment crucial.  Sa mère lui a rapidement dit, par allusions, ce qui l’attendait. Si elle est allée au couvent, les petites copines lui ont dit des choses approximatives, et elle a pu éventuellement se livrer à un certain nombre de pratiques dont elle espère retrouver la délicatesse. Mais elle n’a jamais approché un homme.

 

Monsieur n’a pas d’illusions. Il sait ce qu’il va trouver et ça l’ennuie un peu, cette jeune fille qui ne sait rien faire de ses dix doigts, qu’il va falloir rassurer, qui va s’étonner, se rebeller peut-être. 

Ou bien, pire encore, qui va s’adapter trop vite, manifester son contentement, prendre des initiatives, qui sait ? L’oie aurait-elle vue le loup ? Il n’en faudrait pas plus pour que le doute s’installe.

En général, Monsieur fait selon l’ancestrale tradition : « fort et rapide ». C’est comme ça qu’on accomplit l’essentiel, c’est-à-dire faire des enfants. Il est bien évident que le souci de l’éjaculation précoce n’existe pas en ce siècle.

 Ensuite, on dort. Les médecins recommandent bien d’éviter les excès. Et les excès, Monsieur a l’habitude de les réserver à ses maîtresses.

 Maupassant   décrit sans excès de romantisme la nuit de noces de Jeanne.  Scène qui illustre bien ce qu'on a appelé le viol conjugal et qui se clôt ainsi:  "Mais, comme Julien ne parlait plus, ne remuait plus, elle tourna lentement son regard vers lui, et elle s’aperçut qu’il dormait ! Il dormait, la bouche entr’ouverte, le visage calme ! Il dormait !" La vie conjugale a commencé.  (On pourra lire un extraitdu roman de Maupassant  à la  fin de cet article).

Georges Sand est plus brutale: "Ma nuit de noces a été un viol". Elle écrira en 1843 à son demi-frère dont la fille va se marier : 

« Empêche que ton gendre ne brutalise ta fille la première nuit.  Les hommes ne savent pas assez que cet amusement est un martyre pour nous. Dis-lui donc un peu de ménager ses plaisirs et d'attendre que sa femme soit, peu à peu, amenée par lui à les comprendre et à y répondre. Rien n'est affreux comme l'épouvante, la souffrance et le dégoût d'une pauvre enfant qui ne sait rien et se voit violée par une brute. Nous les élevonscomme des saintes, puis nous les livrons comme des pouliches." ( cité par André Maurois dans Lélia ou la vie de George Sand (Hachette, 1952).

 

Noces-Aldobrandines-détail fresque romaine 50 avant notre ère

L'innocence des jeunes épouses est traditionnelle: la fresque aldobrandine romaine présentée ici, de l'époque d'Auguste porte le nom de son premier possesseur après sa découverte, le cardinal Aldobrandini.

Selon Paul Veyne, elle représente une préparation au mariage. Une femme dénudée, peut-être Vénus, avertit la jeune fille vêtue de blanc de ce qui l'attend. Elle n'en est pas émoustillée... Au pied du lit un beau garçon, sans doute, Bacchus d'après sa coiffure figure le jeune marié. 

 

 

 

Avant tout, de la modération dans les ébats !

 

La nymphomanie ou Traité de la fureur utérine

Nombreux sont les médecins en accord sur un certain nombre de points : la femme est insatiable, victime d’un dérèglement de ses sens qui la mène à la « fureur utérine » : la nymphomane se déchaîne. Si le mari a la faiblesse de la laisser faire, il risque le délabrement physique : « Après le coït, l'homme a « la face décolorée, il a les paupières entr’ouvertes et les regards incertains. S'il veut soulever ses membres, il les trouve lourds

, engourdis  […] son corps ne lui rapporte que des sensations de malaise, de douleur. Sa tête lui fait mal, il se dit brisé meurtri. S'il essaie son intelligence, il la trouve embarrassée paresseuse. L'ouïe est obscure,  la vue est trouble […] » Dr Deslandes .Unknown

 

 De plus, il lui revient de ne pas apprendre à son épouse toutes les « friponneries » (le terme est de Saint François de Sales) qu’il a pu apprendre pas ailleurs : c’est le meilleur moyen de lui en donner le goût et d’être cocu ! 

 Il faudrait, la pauvre, qu’elle ait l’esprit égrillard pour ressentir une quelconque émotion sensuelle. La chambre est un lieu sacré : celui de la naissance de l’enfant. Bien souvent un prie-Dieu trône près du lit. La scène conjugale se déroule dans la pénombre. Les époux sont priés par l’Eglise d’éviter la nudité.

Certains médecins conseillent d’arrêter tout rapport à cinquante ans sous peine de mort subite. Pour les femmes ménopausées et les veuves, le désir est de l’ordre de l’ignominie puisqu’elles ne peuvent procréer. 

Quant à la    religion, elle s’était déjà exprimée dès les premiers siècles : « Rien n’est plus infâme que d’aimer son épouse comme une maîtresse » ( Saint Jérôme).

 

 

En pratique…

Ceci dit, médecins et théologiens affirment que le mari, sollicité avec pudeur par son épouse doit la satisfaire, si la demande n’est pas renouvelée trop fréquemment. Il faut en effet trois jours de repos entre deux « rapprochements ».

L’érection est chose sérieuse. Les médecins se penchent avec intérêt sur l’organe, ses performances et ses défaillances. C’est un phénomène mystérieux, exigeant énergie, qui « ne souffre aucune distraction » dit le Dr Adelon en 1824. On peut supposer que le moindre intérêt porté à la partenaire pourrait rendre faiblarde ladite érection. 

 Le but du devoir conjugal étant la procréation, il est assez largement entendu que la meilleure position est la plus « naturelle » - comprenons la position du missionnaire. 

La position retro (=la levrette) est cependant admise comme favorable à la procréation. Toutes les autres sont inutiles ou

sexe-catholique,Abbé Jean-Benoit Vittrant, jésuite, +1942

dangereuses -la femme sur l’homme exprime un désir de domination indécent. En 1859, le Dr Bourbon consacre sa thèse à la position debout, peu favorable à la conception et adoptée, dit-il, pour cette raison par les gens du peuple qui court le risque d’une paralysie par le renflement lombaire de la moelle épinière. 

 

Dr Tissotonanisme

Les pratiques qui se concluent par un jet du précieux liquide spermatique hors du « vase naturel », dans un orifice qui n’est pas consacré à la reproduction sont à proscrire. La fellation est d’ailleurs considérée comme une pratique dégoûtante, même dans les bordels…  Elles sont condamnées par l’Eglise comme perversions du devoir conjugal. L’onanisme conjugal  (= la masturbation réciproque) est particulièrement visé.

 

 

Un regard médical insistant

Les médecins tout au long du siècle s’attardent avec un plaisir évident sur le corps féminin dont il célèbre le moindre détail à grands renforts d’émotion, et d’images : « Les ondulations de son corps virginal rivalisent de grâce et de souplesse avec les courbes des fleuves et les enlacements des lianes, et le Créateur a donné à son beau sein ;a forme da mondes » ( Dr Manville de Ponsan, 1846). 

Le Dr Virey ( De la femme, 1825) conseille une union harmonieuse qui allie les contraires : « Un mâle brun, velu, sec, chaud et impétueux trouve l’autre sexe délicat, humide, lisse et blanc, timide et pudique »

S’ils consacrent aussi beaucoup d’efforts littéraires et scientifiques à comprendre le fonctionnement du plaisir, par contre, il n’y a jamais un mot sur ce qu’on désigne aujourd’hui par préliminaires. A moins que l’on considère comme tels ces recommandations de Morel de Rubempré, Les Secrets de la génération, 1840 qui ont pour but à la fois de satisfaire le mari 

Les_Secrets_de_la_génération_[

par une dernière preuve de pudeur, de le titiller au bord de l’éjaculation et – le médecin en est persuadé- de faire de beaux enfants : « Epouses, éloignez autant que possible l’heureux moment du sacrifice … Sachez toujours tenir, par votre sage réserve, votre mari en état de ne vous fournir qu’une liqueur pénétrée de principes puissamment vivifiants  qui donnera  vigueur et énergie au nouvel être que vous allez livrer à la société ». 

Roulez tambours, Sonnez clairons !

  

La femme, une vitrine sociale

Nous allions oublier le plus important. Pourquoi s'unir ? La première raison a été vue au cours de l'épisode précédent: les prostituées, les courtisanes, les lorettes tiennent chacune leur rôle dans ses amours de loisir.

Mais le mariage est une union sociale qui conjoint deux familles, deux fortunes ou deux lopins de terre. Peu importe les sommes en jeu, il faut s'éteindre ses biens. Seuls les plus pauvres peuvent, s'ils arrivent à s'établir, vivre selon leurs désirs. Nous verrons ces nuances de classes dans l'épisode suivant. 

Il y a un autre aspect de l'union, quelle que soit sa durée, qui s'apparente sans doute à la première, sans s'y confondre.

Il faut faire appel aux thèses de René Girard, Mensonge romantique et vérité romanesque. Le jeu se joue à trois comme dans les comédies de boulevard: le mari, la femme, l'amant 

 

René Girard dénonce l'illusion romantique qui consiste à laisser croire qu'on aime un objet qui nous a séduit parce qu'on le trouve charmant, unique... En vérité, le jeu réunit trois acteurs: un individu qui désire ( disons pour simplifier, l'amant), un individu désiré -la femme- et un troisième qui détient d'une façon ou d'une autre l'individu désiré -le mari. 

Si l'Amant désire la Femme, ce n'est pas (uniquement) pour ses qualités propres mais surtout parce qu'elle est désirée/possédée par le Mari. 

 

 La femme est un objet symbolique. On ne parle plus ici de la dot qu'elle peut apporter mais du pouvoir dont elle est investie par un sujet désirant.  Que désire celui-ci? Non pas (seulement) la femme elle-même mais ce qu'elle représente. 

La vicomtesse de Beauséant ne dit pas autre chose lorsqu'elle donne ces conseils à son cousin le jeune et désargenté Lucien de Rubempré qui veut, armé de sa seule séduction et de sa jeunesse, se faire une place dans le beau monde : "Plus froidement vous calculerez, plus avant vous irez. Frappez sans pitié, vous serez craint.

N'acceptez les hommes et les femmes que comme des chevaux de poste que vous laisserez crever à chaque relais. Vous arriverez ainsi au faîte de vos désirs. Voyez-vous, vous ne serez rien ici si vous n'avez pas une femme qui s'intéresse à vous. Il vous la faut jeune, riche, élégante. Mais si vous avez un sentiment vrai, cachez-le comme un trésor, ne le laissez jamais soupçonner. Vous seriez perdu [...] 

 

A suivre :    

 

Remy GOGGHE Madame reçoit

S2/ Episode 5 Ça alors, Madame a un orgasme avec Monsieur !"

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Extrait d'Une Vie, de Maupassant: 

« Soudain, jetant un bras en avant par-dessus le lit, il enlaça sa femme à travers les draps, tandis que, glissant son autre bras sous l’oreiller, il le soulevait avec la tête : et, tout bas, tout bas il demanda : « Alors, vous voulez bien me faire une toute petite place à côté de vous ? »

Elle eut peur, une peur d’instinct, et balbutia : « Oh, pas encore, je vous prie. »

Il sembla désappointé, un peu froissé, et il reprit d’un ton toujours suppliant, mais plus brusque : «  Pourquoi plus tard puisque nous finirons toujours par là ? »

Elle lui en voulut de ce mot ; mais soumise et résignée, elle répéta pour la deuxième fois : « Je suis à vous, mon ami. »

Alors il disparut bien vite dans le cabinet de toilette ; et elle entendait distinctement ses mouvements avec des froissements d’habits défaits, un bruit d’argent dans la poche, la chute successive des bottines. 

[…]

Elle fit un soubresaut, comme pour se jeter à terre lorsque glissa vivement contre sa jambe une autre jambe froide et velue ; et, la figure dans ses mains, éperdue, prête à crier de peur et d’effarement, elle se blottit tout au fond du lit.

Aussitôt il la prit en ses bras, bien qu’elle lui tournât le dos, et il baisait voracement son cou, les dentelles flottantes de sa coiffure de nuit et le col brodé de sa chemise.

Elle ne remuait pas, raidie dans une horrible anxiété, sentant une main forte qui cherchait sa poitrine cachée entre ses coudes. Elle haletait bouleversée sous cet attouchement brutal ; et elle avait surtout envie de se sauver, de courir par la maison, de s’enfermer quelque part, loin de cet homme.

[…]

À la fin il parut s’impatienter, et d’une voix attristée : « Vous ne voulez donc point être ma petite femme ? » Elle murmura à travers ses doigts : « Est-ce que je ne la suis pas ? » Il répondit avec une nuance de mauvaise humeur : « Mais non, ma chère, voyons, ne vous moquez pas de moi. »

Elle se sentit toute remuée par le ton mécontent de sa voix ; et elle se tourna tout à coup vers lui pour lui demander pardon.

Il la saisit à bras le corps, rageusement, comme affamé d’elle ; et il parcourait de baisers rapides, de baisers mordants, de baisers fous, toute sa face et le haut de sa gorge, l’étourdissant de caresses. Elle avait ouvert les mains et restait inerte sous ses efforts, ne sachant plus ce qu’elle faisait, ce qu’il faisait, dans un trouble de pensée qui ne lui laissait rien comprendre. Mais une souffrance aiguë la déchira soudain ; et elle se mit à gémir, tordue dans ses bras, pendant qu’il la possédait violemment.

Que se passa-t-il ensuite ? Elle n’en eut guère le souvenir, car elle avait perdu la tête ; il lui sembla seulement qu’il lui jetait sur les lèvres une grêle de petits baisers reconnaissants.

[…]

Las enfin de la solliciter sans succès, il demeura immobile sur le dos.

Alors elle songea ; elle se dit, désespérée jusqu’au fond de son âme, dans la désillusion d’une ivresse rêvée si différente, d’une chère attente détruite, d’une félicité crevée : « Voilà donc ce qu’il appelle être sa femme ; c’est cela ! c’est cela ! » 

Et elle resta longtemps ainsi, désolée, l’œil errant sur les tapisseries du mur, sur la vieille légende d’amour qui enveloppait sa chambre.

Mais, comme Julien ne parlait plus, ne remuait plus, elle tourna lentement son regard vers lui, et elle s’aperçut qu’il dormait ! Il dormait, la bouche entr’ouverte, le visage calme ! Il dormait !

Elle ne le pouvait croire, se sentant indignée, plus outragée par ce sommeil que par sa brutalité, traitée comme la première venue.»

 

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Commentaires
F
Ce sont les nymphomanes qui sont normales !
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