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Eléments de conversation pour briller en société
28 avril 2019

Episode 3 Ninon de Lenclos

Episode  3  : Sexualité, culture, parole

 

Les secrets de Ninon, ni pute, ni soumise ?

Un peu quand même …

On connaît ses débuts professionnels, c’est une affaire entendue.

Dès son retour à Paris, l’opinion des gens bien-pensants à son égard change. C’est qu’on colporte que Christine de Suède aurait dit à Louis XIV qu’il ne manquait au charme de sa Cour que la présence de Ninon pour lui donner la plus haute perfection[1]. Somaize, dans son Dictionnaire des Précieuses, célèbre sa « vivacité » qui « la fait rechercher de ceux qui savent goûter le plaisir de converser avec les personnes spirituelles ». On rend hommage à la femme de goût et si on mentionne sa « belle galanterie », ce n’est pas pour évoquer ses mœurs légères, mais dans le sens défini par le dictionnaire de Richelet : « « ma

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nière civile et agréable de dire et de faire les choses ». 

Quand elle s’installera au 36 rue des Tournelles, (près de la Bastille), dans un hôtel de trois étages sans luxe

ostentatoire, elle y mènera une vie bourgeoise –sans rien renier intérieurement de ses convictions. 

Mais on ne ripaillera plus bruyamment en carême et on prendra soin, dans cette même période de ne plus jeter les os par la fenêtre !

Et quand on parlera d’elle, on oubliera son diminutif et on la nommera Anne de Lenclos, voire « Mademoiselle de Lenclos[2] ». Le passé de la courtisane semble s’évanouir. 

 

Une philosophe

Dès 1653, elle est comparée à Leontium, élève et maîtresse d’Epicure ; Saint-Evremond dédie « à la moderne Leontium » son traité sur la morale d’Epicure ; de même d’Alembert dans l’Encylopédielui rend un bel hommage :  d’autres suivront dans cette voie qui métamorphose Ninon et commence sa légende. 

Voltaire constate, cinquante ans après sa mort: « J’apprends que l’on vient d’imprimer deux nouveaux Mémoires sur la vie de cette philosophe. Si cette mode continue, il y aura bientôt autant d’histoires de Ninon que de Louis XIV ». 

 

Plaire, désirer, jouir … et recommencer…

Malgré tout, elle multiplie les amants, s’éloignant d’autant plus du modèle connu et admis de la femme qui se contente d’un unique galant. Et c’est ouvertement que son désir s’exprime, sans la discrétion convenue pour ce genre de relations.

 

Un esprit charmeur 

On la dit pleine d’esprit et de gaieté. 

Depuis longtemps, on célèbre son autorité qu’elle met au service du bon goût et des bienséances. Elle sait s’adapter aux gens et ne tolère pas l’agressivité.  « Tout se passait chez elle avec un respect et une décence extérieure que les plus hautes princesses soutiennent rarement [..] » (Saint-Simon). 

 

Mais aussi une pédagogue : la « manière jolie » de faire l’amour.

Les Mémoires de Chavagnac, publiés en 1699, montre une demoiselle de Lenclos devenue un modèle pour tous les jeunes gens : « Quand quelqu’un de la Cour avait un fils qui n’était pas dégourdi, on l’envoyait à son école. Son éducation était si excellente qu’on faisait bien la différence […]. Elle leur apprenait à faire l’amour, la délicatesse de l’expression, la manière jolie ; […] en peu de temps elle le rendait honnête homme».

Comprenons que ces jeunots pas « dégourdis » manquaient de civilité –Quant à l’expression « faire l’amour», elle recouvre deux domaines, le premier assumé par les prostituées ou des amies de la famille assuraient l’astiquage du physiologique, le second désigne l’ensemble des attitudes, des paroles qu’une femme était en droit d’attendre d’un homme attentionné qui lui faisait la cour. C’était le domaine 

Princesse palatine

pédagogique d’Anne de Lenclos.

Elle y excelle à tel point que la belle-sœur de Louis XIV, la tonitruante Palatine, duchesse d’Orléans

souhaite que son fils, le duc de Chartres, « l’allât voir plus souvent et la fréquentât de préférence à ses bons amis. Elle lui inspirerait de meilleurs sentiments et plus nobles que ceux-ci ne font. […] Il n’y a point de plus honnête homme que Mlle de Lenclos »

 

Une grande professionnelle du sexe, mais pas seulement…

La courtisane court toujours le risque d’être enceinte plus souvent que désiré. Bien sûr, les courtisanes connaissent les pratiques diverses pour éviter cet événement qui mène à l’usage de produits abortifs hasardeux qui ont coûté la vie à Marion de Lorme à 37 ans.

La science de l’époque affirme que la femme qui ne ressent pas de plaisir au « combat vénérien[3] », ne donnera pas la semence féminine nécessaire à la fécondation. Ce qui l’oblige à être attentive au jet spermatique dont elle doit annuler l’effet, par exemple en retenant sa respiration, affirment les spécialistes… 

Et Ninon est précisément réputée pour sa retenue, ce qui la distingue d’une Marion de Lorme qui a avorté six ou sept fois et était considérée comme un peu trop fougueuse dans ses ébats, « naturellement lascive » dans le style de Tallemant qui l’oppose à Ninon qui « fait ça en assez honnête personne et n’en [prend] jamais trop ». Comprenons qu’elle reste lucide, ne prend pas trop de plaisir pour ne pas prendre trop de sperme. Preuve de sérieux professionnel aux yeux des contemporains.

 

Ninon a d’autres cordes à son arc. L’anecdote qui suit nous est connue par deux contemporains. Condé, duc d’Enghien, vaillant guerrier et grand stratège, semblait avoir moins de vigueur dans les jeux amoureux : « Le jeune prince "fait pour la gloire la plus immortelle, l’était moins pour la volupté » dit Bret en 1751. 

Le duc rend visite à Ninon vers 1745, après sa victoire à Rocroy. Disons, en restant pudique, que la sensualité de Ninon pour ranimer son amant ne se limitait pas à diverses manipulations mais passait aussi par la conversation et la voix. C’est que le plaisir selon 

Condé, duc d'Enghien

Ninon prend sa source dans un désir qui se prolonge. 

Une soirée avec Ninon commence par une conversation qui dure autant qu’on en a envie, se poursuit par un souper plus ou moins long, - abrégé selon les uns ou les autres- et se poursuit au lit, dernière étape du processus.

charles de Sévigné

Ninon fait naître chez son partenaire le désir d’un plaisir partagé, -ce qui n’est l’obsession ni des maris ni des amants de cette époque-. 

Le fait est si rare que Bussy-Rabutin rapporte l’émotion de Charles de Sévigné qui se félicite du plaisir qu’ila donné à sa maîtresse[4]

 

Ninon, d’âme et de corps : vers un adoucissement des relations amoureuses

Le charme de Ninon est sans doute là, dans cet entre-deux du corps et de l’esprit où, par des caresses et des paroles s’aiguisent mutuellement le désir commun …

Qu’en est-il du discours qui escorte les ébats ? Il est d’une crudité absolue et accompagne des assauts « amoureux » brutaux et rapides. 

Les qualités qu’on célèbre chez Ninon ne doivent donc pas seulement à son tempérament. Dès le début du siècle, se fait jour un désir de civilité, de tendresse qu’elle ne pouvait ignorer. Par ailleurs, la vogue des salons précieux va diffuser et approfondir ce mouvement dont l’objet n’est pas moins que rapprocher les sensibilités des hommes et des femmes.

Elle se conduit comme un homme, en prédateur exigeant. 

Elle affirmait sa conviction que « les règles et les devoirs de l’amour étaient égaux entre les deux sexes et que, sur ce chapitre, il ne fallait pas en attendre plus d’[elle] que du commun des hommes ». 

Voltaire rapporte ses mots dans sa Correspondance,1751 : « Elle disait qu’elle n’avait jamais fait à Dieu qu’une prière : « Mon Dieu, faites de moi un honnête homme, et n’en faites jamais une honnête femme. » 

 

Ainsi était Ninon de Lenclos pour laquelle Olympe de Gouges écrit en 1788 Molière chez Ninon ou le siècle des grands hommes, lisible en ligne.

On pourra consulter dans la série "52 semaines pour les femmes", l'article sur Marie de Gournay.

 



[1]En 1658, Mlle de Scudéry, qu’on ne peut soupçonner de complaisance envers les libertins fait dans Clélieun portrait dithyrambique. 

[2]Le terme « mademoiselle » désigne au XVIIème s. une femme, mariée ou pas, de la petite noblesse ou de la bourgeoisie.

[3]Trésor des remèdes secrets pour les maladies des femmesde Jean Liebault (1585)

[4]… et qui ne manque pas d’ajouter, selon la courtoisie balbutiante de l’époque (Bussy-Rabutin estson cousin par alliance) : « Vous pouvez croire que ce n’est pas avec votre cousine, c’est avec Ninon.» On se rappelle peut-être que son père a jadis partagé l’affection de Ninon !

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